Je me réveille à 6 heures, quand j’entends la douche de ma compagne, Elisa. Mais en réalité je ne me lève vraiment qu’une heure plus tard, quand elle part au travail. La course commence. Je vais dans la chambre des enfants pour les réveiller : Notre fille Léa a 7 ans et notre fils Noah a 6 mois. J’ai pris un congé parental à sa naissance. Ma compagne est pédiatre dans un hôpital, elle ne gagne pas trop mal sa vie (enfin, la nôtre !), et surtout elle adore son travail. Elle a fait presque 10 ans d’études pour y arriver, elle a travaillé d’arrache pied, et a été titularisée au moment où elle est tombée enceinte de Noah. Elle ne se voyait pas tout laisser tomber, et pourtant on ne voulait pas que les nourrices élèvent nos enfants à notre place. Nous avons donc renoncé à mon (petit) salaire. J’étais déjà un homme dans un univers de femmes, j’étais « sage-femme » ! Nous nous sommes rencontrés à la maternité où nous travaillions à l’époque, et avoir et élever des enfants a toujours été notre objectif commun. Je n’imaginais simplement pas que c’est moi qui resterais à la maison !
Le petit déjeuner est un des moments les plus stressants de la journée : Je suis systématiquement en retard. Je dois expliquer à Léa chaque matin que les Choco BN ne sont pas un petit déjeuner adapté, et que les Kellog’s Corn Flakes couvrent mieux ses besoins nutritionnels. Chaque matin, elle arrive à me convaincre que les dits Choco BN remplacent avantageusement les céréales si on les émiette dans le bol. Ne le répétez surtout pas à ma compagne. Quand Léa daigne finir son petit déjeuner, Noah réclame son biberon. Quand j’ai fini, la cuisine est digne de Waterloo. Mais pas le temps de ranger, il faut habiller les enfants. Ma compagne prépare les habits de Léa la veille avec elle, c’est sa prérogative, donc elle sait ce qu’elle doit porter. Elle s’est prise d’une passion pour Hello Kitty (quand je dis elle, comprenez ma compagne !) je vois donc défiler leur collection à longueur de semaines. Il parait que si tu n’as pas de marques à l’école, tu es ringard. Enfin, ma fille ne dit pas ringard, elle dit « tu crains ». C’est pourquoi je déplore qu’on ne retourne pas au port de la blouse. Je pense qu’on limiterait le racket, qu’on gommerait les inégalités… M’enfin, là aussi, selon ma fille, « je crains ». Je change Noah et je l’habille.
Nous partons, avec bonnets, moufles, et compagnie, affronter le froid. Nous la laissons à l’entrée de l’école à l’institutrice qui fait l’ouverture. Dieu merci, elle n’est pas encore à l’âge où on demande à ses parents de nous déposer deux rues plus loin parce que « c’est la honte ». Comme je suis dehors, j’en profite pour faire des courses. Je passe au marché couvert en face de chez nous, prendre des légumes, j’essaye de faire manger à Léa ses « 5 fruits et légumes par jour » mais vous l’aurez compris, ce n’est pas facile !
Noah, quant à lui, commence à peine la diversification alimentaire. Je lui mixe des carottes en grande quantité chaque dimanche, que je congèle dans des bacs à glaçons, et que je décongèle à volonté. Je fais tout à pieds, notre voiture est tombée en rade et on s’est aperçus qu’on pouvait vivre sans. C’est un des intérêts des grandes villes. Je rentre à la maison, je change Noah et je le pose sur son tapis de jeux. Je range les courses et je range la cuisine (souvenez-vous, j’avais laissé des miettes de Choco BN et de corn flakes…). Je m’installe devant la télé pour préparer le déjeuner. Je discute avec Noah en même temps. Enfin je parle et il babille. Je mets la table pour le déjeuner, puis je donne son biberon à Noah en regardant Tout le monde veut prendre sa place sur France 2, avec Nagui. Quand arrive le moment de la finale, je sais que je dois partir chercher Léa à l’école. Rebelotte, bonnet et moufles , habillage-emitouflage de Noah, sortie du porte bébé…
Devant l’école, je suis le seul papa. La plupart des femmes qui sont là parlent entre elles, certaines attendant depuis une demi-heure, juste pour avoir l’occasion de discuter. Je reçois souvent des petits mots de soutien, certaines me draguent aussi, sans doute attirées par l’image du père poule… Quelques unes me jettent des regards en coin, en chuchotant entre elles. Ma compagne et moi, nous les appelons « les 3 rangs » parce qu’elles ont en permanence trois rangs de perles. C’est vrai, quoi, on est à la sortie de l’école primaire, pas au bal des débutantes ! Nous déjeunons rapidement sur fond de cris de Noah, c’est l’heure à laquelle il s’énerve. Je profite d’être à la maison pour éviter la cantine à Léa. Je regardais les infos de 13h jusqu’à la semaine dernière, quand nous avons vu un reportage sur l’homme qui a été battu à mort l’an dernier (ndlr : en prenant en photo des réverbères), qui a beaucoup choqué Léa, elle s’est mise à pleurer.
Je me suis rendu compte qu’elle ne voyait pas la même chose que moi et que certaines informations étaient trop impressionnantes pour une petite fille. Je ne sais pas si j’ai bien fait, mais pour moi les enfants doivent, tout en étant conscients du monde qui les entoure, rester dans leur monde d’enfants, avec Hello Kitty et les Chocos BN. Elle aura bien le temps de découvrir la violence plus tard, le plus tard possible. A peine ses petits suisses avalés, nous devons repartir. Bonnets, moufles, emmitouflage, habillage… Après avoir déposé Léa à l’école, en général, Noah manifeste l’envie de faire une sieste, voire, l’a déjà commencé. Je dois donc le laisser dans le porte-bébé sous peine de la réveiller. J’en profite pour régler quelques problèmes de gestion administrative.
Nous sommes très souvent à découvert, du fait de n’avoir qu’un seul salaire. Je dois donc régulièrement aller expliquer à notre banquière (Madame Le Bihac, si vous nous regardez…) que tout va très bientôt s’arranger incessament sous peu. Elle ne manque pas de me suggérer de « trouver un travail ». Cela ne me touche plus, mais au début, je me vexais de ce genre d’insinuations. Un contrôleur des impôts m’avait même dit que si je voulais m’en sortir je ferais mieux de ramener un salaire, et que je ne remplissais pas mon rôle d’homme. J’ai failli lui répondre que j’allais chasser le mamouth de ce pas, mais comme je demandais un délai de paiement, je n’étais pas en mesure de fanfaronner.
Nous n’avons aucune allocation car la CAF se base sur nos revenus de l’an dernier. De plus, je ne touche toujours pas de « complément de libre choix d’activité » (la petite somme versée chaque mois à certaines mères au foyer, sous condition et pendant quelques mois) car le seul formulaire prévu était au nom de ma compagne. L’administration ne reconnait pas les pères au foyer… Je ne crie pas à la discrimination, car en tant que métis, je sais ce que sont les vraies discriminations… Je me bats en essayant de monter une association des pères au foyer, mais ça prend du temps. Il est 16 heures et je dois retourner à l’école chercher Léa. C’est « l’heure des mamans », je suis une fois encore le seul papa. Je salue d’un grand sourire les « 3 rangs » et leurs enfants en bleu marine et vert bouteille, et Léa, Noah et moi rentrons vite, car c’est l’heure du biberon et de la compote de Noah. Au goûter, je prépare un yaourt pour Léa. Tu parles, je ne sais pas comment elle fait, mais elle arrive encore à manger des chocos BN et à me faire trouver ça normal ! Ne le dites toujours pas à sa mère s’il vous plait… !
Noah, Léa et moi nous regardons un dessin animé en DVD, ou Léa fait un jeu sur l’ordinateur. Elle aime beaucoup les Sims, moi je n’ai pas trop compris en quoi ça consiste. Je crois que c’est une sorte de second life pour enfants. Lea n’a le droit qu’à une heure d’écrans par jour, ordi, télé et jeux compris. Et les messageries instantanées ou les forums lui sont interdits, elle est trop jeune pour faire preuve de discernement, je n’ai pas envie de la retrouver dans un fait divers. Après cette pause, nous faisons les devoirs pour le lendemain. Je suis effaré de voir la quantité de choses que les enfants ont à faire chez eux. Ma fille a même des cours d’anglais ! A 18 heures, bain pour tout le monde : Léa dans la salle de bain, et Noah dans la chambre, dans une baignoire d’appoint. Les enfants n’ont qu’une chambre pour deux, salaire unique oblige. A partir de 19 heures, on instaure un moment de calme. Je mets de la musique douce, du classique ou Bob Marley. J’essaye de faire leur éducation musicale. On dîne d’une soupe et d’un biberon pour Noah et, cette fois, je tiens bon face aux Chocos BN, de toute façon Léa a vidé les paquets. Elisa, ma compagne, rentre vers 20h30, après une journée souvent éprouvante à soigner des bébés (elle travaille au service des grands prématurés).
Léa est toujours très heureuse de retrouver sa maman, mais elle ne lui en veut pas du tout de travailler. Au contraire, elle lui dit toujours que plus tard elle aussi aura un travail intéressant. C’est une vraie victoire pour nous de lui prouver qu’elle peut faire ce qu’elle veut et que sa condition ne femme ne la condamne pas à rester à la maison. . J’espère que Noah partagera, plus tard, l’avis de sa sœur. Elisa va choisir les vêtements de Léa avec elle et lui lit une histoire. Les enfants s’endorment calmement , non sans avoir réclamé des chocos BN pour Léa–je fais celui qui ne comprend pas- et j’espère qu’ils font de beaux rêves. Je suis musulman et ma compagne est catholique, mais aucun de nous n’est pratiquant. Léa fait pourtant un signe de croix sur son frère avant de se coucher « pour le protéger », c’est sa grand-mère qui lui a montré. Nous avions très peur qu’elle vive mal son arrivée… Nous sommes ravis pou le moment.
Ma compagne et moi partageons un dessert et un verre de vin vers 22h. Nous allons nous coucher devant la télé, en pyjama, trop épuisés pour faire autre chose. Nous nous promettons en nous endormant de passer plus de temps tous les deux. Dès que les enfants auront leur bac.
super sympa ce témoignage!! merci de partager un ptit bout de quotidien avec nous!!
Posted by: alice | 10/31/2009 at 02:07 PM
thanx Alice
Posted by: Papa travaille | 11/01/2009 at 11:56 PM
Très beau témoignage !
Posted by: Klervi | 11/02/2009 at 04:28 AM
sympathique ce témoignage, ça change d'avoir le point de vue de l'homme
Posted by: sandrine | 11/02/2009 at 05:53 AM
Maman au foyer je confirme c génial mais épuisant...
Posted by: Bidi | 11/05/2009 at 01:12 PM
Bonjour,
Je suis journaliste pour l'émission "c'est quoi l'amour?" sur TF1 présenté par Carole Rousseau. Je prépare actuellement une émission spéciale sur les papas. et j'aimerais consacrer un reportage sur un papa au foyer. le but de ce reportage est bien sur positif sans nier pour autant les côtés plus ou moins difficiles, comme le regard des autres qui peut parfois exister dans une situation comme la votre .
Je suis tombée sur votre blog, c'est pourquoi je me permets de vous contacter. Seriez vous intéressé pour témoigner et partager votre quotidien au travers d'un reportage?
Je reste bien sur disponible pour toute information au 01.55.04.76.82 ou par mail : lucilecqla@yahoo.fr
j'espère avoir une réponse de votre part
Bien à vous
Lucile
Posted by: lucile | 11/25/2009 at 08:36 AM
Trés bon témoigage. Et féliciation pour ton soutient vis vis de la maman.
Toujurs symaps d'avoir des bribes de vie de certains qui s'assument.
Rico
Posted by: rico | 12/02/2009 at 04:09 AM